À l’heure du réchauffement climatique, nous sommes allés à la rencontre des experts qui font évoluer ces territoires. Ventilation naturelle, isolation, économies d’énergie sont au cœur de leurs préoccupations quotidiennes. Conscients que les acteurs locaux sont ceux qui connaissent le mieux les spécificités de leurs territoires, le programme OMBREE (programme inter Outre-Mer pour des Bâtiments Résilients et Économes en Énergie) a été mis en place par l’État, en 2020, pour permettre aux territoires ultramarins de réduire leurs consommations d’énergie en mettant en valeur les connaissances, les bonnes pratiques et retours d’expériences issus du terrain. Un travail amorcé dès 2010 avec les publications des REX Bâtiments Performants, véritables mallettes pédagogiques. Afin de faciliter la diffusion de l’ensemble de ses expertises, l’AQC (Agence Qqualité Cconstruction) et ses partenaires ont lancé la plateforme collaborative PERGOLA, destinée à créer un espace unique pour mutualiser les différentes ressources locales relatives aux bâtiments en milieu tropical, et ainsi pouvoir constituer une large communauté de professionnels de la construction des territoires ultra-marins déjà engagés,, des Antilles à l’Océan Pacifique (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion, Nouvelle-Calédonie et Mayotte). Tous saluent ces dispositifs qui leur permettent de travailler différemment et d’aller au bout de leurs recherches.

 

Aller plus loin dans les innovations

« Ces appels à projets sont une vraie chance pour nous car nous travaillons très librement, ce qui nous permet de creuser les sujets. Cela fait des années que nous avions en tête ce projet et là, nous avons eu l’occasion de le concrétiser (…) C’est OMBREE qui a permis ça, faire progresser la connaissance sur le sujet, ajouter que c’est de l’inter outremer qui nous permet d’échanger avec d’autres territoires, de voir ce qui se fait ailleurs, se rencontrer c’est parfait car nous avons une bonne visibilité de ce qui se fait aux Antilles Guyane mais c’est plus compliqué sur la zone Rréunion-Mayotte » nous confie Gilles Guerrin, expert en efficacité énergétique chez Watt Smart.

 

La végétalisation

Aujourd’hui certains domaines de connaissance ont atteint des niveaux d’expertise exceptionnels notamment grâce à la mise en commun des travaux sur des problématiques partagées telles que la végétalisation, la ventilation naturelle et l’isolation. Périne Huguet, experte en végétalisation des constructions (autour du bâtiment, sur les toitures, sur le bâtiment), a supervisé la publication REX qui fait état de l’influence forte du jardin créole sur la manière de faire s’entendre la végétalisation et la construction pour y amener le maximum de confort possible aux utilisateurs de la construction. La biodiversité en outre-mer est exceptionnelle de par son importance patrimoniale. Sur une surface totale pourtant plus de 4 fois plus restreinte, les collectivités d’outre-mer hébergent globalement plus d’espèces pour tous les groupes que l’Hexagone, et on peut dire qu’environ 80% de la biodiversité française est en outre-mer. Vivre en harmonie avec cet environnement tout en le préservant est un enjeu majeur. D’ailleurs, à l’échelle sociétale, le jardin créole ou jardin de case est un type d’agroécosystème fréquent en Guyane, aux Antilles et à La Réunion, qui reste omniprésent dans le paysage rural et culturel. Modèle écologique et social, le jardin créole présente un intérêt certain sous des latitudes où la biodiversité est, comme partout ailleurs, menacée. Grâce à une conception bioclimatique, elle permet de mettre à profit les conditions climatiques favorables tout en se protégeant de celles qui sont indésirables. Si au cours de ces deux dernières décennies, la biodiversité est surtout restée un concept scientifique, aujourd’hui elle se transpose dans les projets de territoire ultramarins. La végétalisation contribuant à la protection solaire dans le bâtiment et donc à la réduction du besoin en climatisation.

Fort de ces enseignements, les idées foisonnent et les résultats n’en sont que plus créatifs. « Les expertises ne sont jamais suffisantes, les technologies évoluent, les problématiques s’amplifient pour la plupart et donc nous avons toujours besoin d’acquérir des connaissances et des expériences à mettre en œuvre » nous explique Laurent Séauve, à l’origine du guide technique du brasseur d’air.

 

Les matériaux de construction

À Mayotte, un matériau attire l’attention des promoteurs du bâti tropical durable : la brique en terre compressée (BTC), mise au point à la fin des années 1970 sur les bases de la construction traditionnelle en torchis. Une filière s’est alors structurée, pour répondre aux besoins urgents de construction de logements et d’équipements publics. « Puis elle s’est affaiblie, concurrencée par le béton et victime de son originalité : aucune règle professionnelle normalisée n’existait pour sa mise en œuvre, explique l’architecte Dominique Tessier. Depuis 2008, notre association Art Terre Mayotte s’emploie à promouvoir cette ressource locale, dans laquelle est incorporée seulement 5 à 10% de ciment et aux qualités hygrothermiques évidentes ». Dans le cadre d’un projet soutenu par Ombree, Art Terre Mayotte est allée plus loin en ajoutant des fibres végétales dans les BTC. Les premiers tests font état d’une résistance thermique accrue, qui pourrait contribuer à réduire ou annuler le recours à la climatisation.

Stop au « tout climatisation »

Hérité d’une vision américano moderne, le confort qu’offre la climatisation est indéniable mais plus possible à l’excès. Chez soi, en extérieur, en voiture, on climatise à outrance pour échapper à des variations thermiques inéluctables. Selon Gustavo Torres, « on s’est mis à vivre en contradiction avec notre réalité climatique ». La gestion de la ventilation naturelle est devenue un enjeu majeur. Deux rapports sur la protection des façades et sur la ventilation ont été rendus dans le cadre des appels à projets. Avec le guide technique du brasseur d’air, Laurent Seauve d’Equinoxe propose une alternative intéressante « Le brasseur d’air est une solution qui a été longtemps méconnue et sous employée car il avait une image un peu ringarde. Or aujourd’hui il est moderne, connecté, silencieux. C’est une image marketing qu’il faut revaloriser en même temps que des installations de qualité. Il apporte du confort tout en faisant des économies d’énergie, c’est un complément à la climatisation. Il peut éventuellement la remplacer, c’est une solution alternative. Ces solutions sont déjà prévues et intégrées aux réglementations thermiques. Il suffit de les connaitre, les développer et les mettre en œuvre. »

Sur le littoral de La Réunion, où se concentre la majorité de la population et de l’activité économique, la réduction de la consommation d’énergie des bâtiments passe par une bonne maîtrise de la climatisation. L’expertise locale ne cesse de s’étoffer dans ce domaine. Le bureau d’études Inset a ainsi démontré, dans le cadre du projet ClimaTer (Climatisation dans le Tertiaire, lauréat du programme Ombree 1), « la possibilité de diminuer de moitié la consommation d’électricité pour climatiser des espaces de bureaux, en faisant varier le débit de l’eau glacée selon les besoins, détaille son directeur général, Christophe Lombardot. Dans ce cas, la pompe consomme moins d’énergie, alors que les systèmes de climatisation classique fonctionnent inutilement à débit constant ». Inset a également été appelé à participer à la rédaction de fiches de bonnes pratiques de climatisation pour le programme Ombree, en donnant son avis sur une cinquantaine de réalisations. Spécialiste indépendante de la maîtrise de l’énergie, Floriane Mermoud a travaillé sur les mêmes fiches, ainsi que sur des installations d’eau chaude solaire pour analyser leurs qualités et leurs défauts. Elle fut également partenaire du projet Ombree PECORE (PEtit COmmerce REsilient), porté par le Laboratoire d’Ecologie Urbaine Réunion.

Au sein du bureau d’études Imageen, spécialisé en performance environnementale du bâtiment, Nejia Ferjani a, pour sa part, contribué aux projets ClimaTer et CoCo (Confort Optimisé pour réduire la Climatisation en Outremer), ciblant à la fois la Martinique et Mayotte. Plus de 2 000 enquêtes ont été menées dans chaque territoire pour mesurer le ressenti de confort thermique chez des personnes exposées à des valeurs variables de température, de vitesse d’air et d’humidité. Elle a également été sollicitée pour affiner des fiches de bonne pratique en production d’eau chaude solaire. Ce domaine est la spécialité de Roger Le Pape. Dans une île où le taux d’équipement en chauffe-eau solaire bat des records, le marché de la pose et du renouvellement des installations est prospère ; le regard de l’expert est précieux pour apprécier la qualité de ces dernières et corriger des défauts énergivores qui peuvent rapidement annuler le bénéfice des primes et du réchauffement gratuit de l’eau par le soleil.

 

 

Évaluer les dépenses énergétiques de l’habitat

Les équipements de froid alimentaire, réfrigérateurs et congélateurs, sont le premier poste de consommation électrique en Guadeloupe, avec 31 % de la facture en moyenne. Malgré l’amélioration des performances des équipements, la consommation électrique des foyers stagne sur l’archipel depuis 2014. Elle s’élève en moyenne à 3 750 kWh/an par habitant en 2021. En cause notamment, la démocratisation de la climatisation. La proportion de logements climatisés a doublé en 15 ans : 31 % de logements étaient climatisés en 2008, contre près de 60 % en 2022. La climatisation répond à un désir de confort thermique, mais elle a un coût. « Le confort thermique, ce n’est pas que la température de la pièce ” explique Gilles Guerrin, expert en efficacité énergétique chez Watt Smart ». Plus on protège son logement du soleil, moins il fait chaud chez soi, moins on a besoin de climatiser et moins on consomme d’énergie ». Pour savoir quoi améliorer et orienter la rénovation énergétique, il propose un outil simple et efficace d’évaluation de l’habitat aux Antilles, MakazRénov, récompensé par l’appel à projets OMBREE. MakazRénov évalue la consommation énergétique du logement, et le ressenti de confort avec un questionnaire en ligne : 2 minutes et moins de 10 questions. Des conseils de travaux sur mesure sont associés à ce diagnostic, en vue d’améliorer le confort et de réduire la consommation énergétique. L’outil identifie les travaux de rénovation énergétique les plus pertinents en fonction du profil du logement. L’objectif : encourager les ménages à entreprendre des travaux de rénovation et les orienter vers les aides à la rénovation énergétique. Mayotte souhaitant bénéficier de l’outil pour son territoire, WattSmart travaille ils ont travaillé à l’adaptation de la version mahoraise pour le second appel à projets. « Derrière cet outil simple, il y a des centaines et des centaines de simulations qui ont été réalisées. Nous avons modélisé une grande majorité des facteurs d’influence cad des paramètres qui influent à la fois sur le confort et les économies d’énergie (épaisseurs de murs, couleur de toiture, type d’isolants, type de protection solaire) ».

Faire des économies d’énergie pour des bâatis durables

Des mesures simples à mettre en œuvre sont proposées : isoler, peindre les murs ende couleur claire ou protéger les fenêtres du soleil. Les économies d’énergies associées sont estimées en consommation d’électricité, mais aussi en euros ou en émissions de CO2. L’installation d’un chauffe-eau solaire aide à réduire encore la facture. « L’enjeu de la rénovation énergétique dans l’Hexagone est focalisé sur l’isolation face au froid et sur la production de chaleur. MakazRénov est un outil spécifiquement conçu à partir des données climatiques et des caractéristiques des logements de la région caribéenne». Explique Tom Chabillon, expert en efficacité énergétique chez Watt Smart.

L’isolation de toiture y participe aussi pour beaucoup, le but étant de relever les malfaçons les plus souvent rencontrées et essayer d’apporter des préconisations pour que les travaux soient durables et conformes. « Souvent il y a une personne chargée du corps de métier de la pose de l’isolant qui ne va pas forcément faire appel à des corps de métier qui sont interdépendants comme l’électricien, le plaquiste, le couvreur etc… et ce qui est en jeu c’est la durabilité de l’ouvrage » nous explique Wilfrid Decrette de Guyane Iisolation, dont la principale problématique est la prévention de l’humidité et des nuisibles qui s’immiscent dans l’isolant, mettant ainsi en péril les travaux du second œuvre.

 

Des spécificités à prendre en compte

Gustavo Torres, architecte en Martinique rappelle que « les problématiques d’élévation des températures, le traitement de la ventilation sont pour nous des habitudes permanentes » à intégrer dans les réflexions et les méthodes de construction. Toutefois, face aux exigences gouvernementales de la transition écologique et environnementale, leur mise en application se heurte à des réalités différentes.

Décalage avec les normes et labels hexagonaux

Les réglementations type RE2020 ou labels ne sont pas adaptés aux spécificités ultramarines créant parfois des « aberrations » de construction comme le souligne Gustavo Torres. « Nous avons du mal à tropicaliser les exigences et les mettre à notre portée. Pour exemple, on arrive à des choses farfelues entre l’isolation phonique à 35 décibels qui requiert le cloisonnement à double vitrage et la climatisation à l’air naturel issus des critères imposés ».

Cela impacte également les réglementations, disparates selon les territoires. En Guyane, par exemple, Wilfried Decrette, de Guyane Isolation, déplore une absence totale de règlementation thermique sur les bâtiments neufs tertiaires. « Nous sommes au stade 0 et pourtant nous sommes des territoires en pleine expansion dans la construction. On ne pourra pas se dispenser d’une loi qui légifère un peu et qui contraint les architectes et les constructeurs. On voit encore sortir de terre des choses totalement aberrantes ». Constat partagé par Laurent Séauve d’Equinoxe. « Dans les DOM il y a un travail réglementaire indispensable à faire mais qui est très lent. Il n’y a pas de réglementation thermique en Réunion et Guyane alors que sur les autres, elle permet de booster les solutions alternatives à la climatisation comme les brasseurs d’air ».

Des règles de construction adaptées

Dans les départements et régions d’Outre-Mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Mayotte, La Réunion), trois habitants sur dix souffriraient de mal-logement, soit environ 600 000 personnes selon une étude de la fondation de l’Abbé Pierre. Une pénurie de logements que les PLOM successifs tentent de combler. Cette dynamique de construction appelle à la vigilance du bien construire pour une durabilité optimale. Des règles de l’art adaptée doivent être produites pour garantir la qualité des ouvrages, tout en respectant les aspirations et besoins spécifiques des ultramarins. Pour Péerine Huguet, architecte en Guadeloupe, « dans nos territoires antillais, on construit de mieux en mieux, c’est évident. Le problème c’est l’urgence. Il faut prendre le temps de sortir de l’urgence pour bien faire. Nous devons nous méfier des décisions politiques qui affirment l’urgence de construire plus climatique, plus environnemental etc… cela pousse à uniformiser des pratiques qui ne peuvent l’être. Il faut distinguer le temps politique du temps de l’humain. Quand le temps politique se permet d’exiger du temps de la construction des urgences on arrive parfois à des solutions inadaptées ». Les règles fondamentales de construction para-cycloniques que l’on applique dans les DOM ne sont pas appliquées dans un territoire comme la Corse par exemple qui vient d’essuyer des dégâts considérables lors du récent passage d’une très forte tempête comparable à nos vents cycloniques. « Rattaché le toit à la charpente est une pratique courante chez nous et qui n’est pas appliqué en Europe ». explique Périne Huguet.

Les Assises de la Construction Durable en Outre-mer, lancées en juin 2023 lors de sonvia un appel àaux contributeurs, cherchent à pallier ces enjuex, a pour but d’y pallier en proposant des processus de production de référentiels adaptés aux spécificités des ces territoires ultra-marins. Attendue depuis longtemps par les locaux comme en atteste le rapport de 2018 du sénateur Saint-Barthinois Michel Magras en date de 2018, cette opération inédite s’inscrit dans la continuité du PLOM (Plan Logement Outre-Mer), prolongé pour l’année 2023. Les instances ultramarines et hexagonales vont désormais plancher ensemble sur la création de référentiels adaptés à la construction ultramarine.

« Nous avons la chance dans les territoires ultramarins de ne pas être trop dépendants d’une histoire architecturale trop prégnante, ce qui permet une création excessivement intéressante. On se retrouve aujourd’hui avec des œuvres architecturales en phase avec la richesse culturelle et patrimoniale des territoires. »

Périne Huguet – Architecte

 

Une expertise méconnue

« On s’est aperçu que nos travaux menés en Outre-Mer sur la protection solaire des bâtiments, la ventilation naturelle, les brasseurs d’air…sont très mal connus en Hhexagone alors que c’est le quotidien d’une construction performante aux Antilles » nous confie Gilles Guérin , dont le bureau d’études est actif sur les deux territoires. Toutefois, les problématiques de canicule devenant récurrentes, cela amènera très probablement, certains enseignements ultramarins à se démocratiser voire à s’appliquer aux climats tempérés.

Dans un contexte de réchauffement climatique qui tend à généraliser ces problématiques, l’expertise ultramarine peut-elle faire figure d’exemple ? Ces enseignements sont-ils transposables sur d’autres territoires ou plus simplement peuvent-ils nourrir une réflexion quant à une adaptation au climat tempéré ? Pour Gustavo Torres, cela ne fait aucun doute : « Nous avons une expertise de gestion du confort en climat chaud-humide que l’on devrait pouvoir exporter sinon partager avec nos confrères de l’Hexagone ». Tandis que Peérine Huguet, architecte en Guadeloupe, plus nuancée, estime que l’on peut l’adapter. « Une construction environnementale réussie c’est de la Haute Couture car elle doit prendre en compte le site d’implantation dans sa globalité ».

 

Les experts qui ont contribué aux livrables OMBREE

 



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